Yes, they can !!
Trente ans après, usé par la maladie et par l’exercice du pouvoir, Bourguiba fut renversé par le General Ben Ali. Celui-ci ne remit nullement en cause les acquis de la femme, certains disent qu’il les aurait même consolidées. Par contre ce furent les droits de l’homme, la liberté d’expression et les libertés publiques que Ben Ali bafoua durant son long pouvoir (23 ans). Aucun parti autre que le sien, le RCD, ne put participer à la vie politique du pays. Toutes les élections furent truquées et une répression féroce s’abattit sur ses opposants. Emprisonnements, torture, disparition d’opposants, simulacres de procès pour les opposants, censure de la presse locale et internationale, contrôle d’internet, propagande à grande échelle à travers une puissante agence de communication (l’ATCE), surveillance de la société par le biais de comités de quartiers et d’une forte police politique. Sur le plan économique ce ne fut guère mieux : Corruption poussée à l’extrême, népotisme , partage des ressources du pays entre les membres de son clan (famille et soutiens du régime) , absence de redistribution des richesses , négligence totale des régions du centre , de nord-ouest et du sud au profit des villes côtières , fortes présomptions de trucage des chiffres réels sur l’état de l’économie du pays etc.
Sur le plan international, Ben Ali profita d’une conjoncture internationale consécutive aux attentats du World Trade Center de New York pour se présenter comme un rempart contre l’extrémisme religieux et comme un allié dans la lutte contre le terrorisme. A partir de ce moment là il bénéficia de la « myopie » des occidentaux, souvenez vous de Chirac en visite officielle disant à propos de la situation des droits de l’homme en Tunisie : « le 1er des droits de l’homme c’est de manger » … Pendant ce temps, les rangs des mecontents ne cessaient de grossir parmi les militants des droits de l’homme : M.Marzouki (actuel Président de la république et fondateur du CPR), M. Ben Jaafar (Actuel Président de l’assemblée constituante et dirigeant du parti Ettakatol), les partis réduits à une quasi-clandestinité tels le PDP de M. Nejib Chebbi et Mme Maya Jribi ou Ettajdid de M. Ahmed Ibrahim , ou M.Hamma Hammami et son Parti ouvrier et surtout Ennahdha avec MM.Rached Ghannouchi et Hamadi Jebali (actuel premier ministre). Certains mènent leur combat en Tunisie et d’autres le font à partir de l’étranger. Tous verront leurs militants ou leurs dirigeants emprisonnés. Par ailleurs, à l’intérieur du pays la situation économique se détériorait : chômage à plus de 35% dans certaines régions, perte de pouvoir d’achat, népotisme ; tout ce qui crée un terreau fertile pour les réseaux de prédicateurs (comme on le verra plus loin). A tout cela la seule réponse de Ben Ali était sécuritaire. C’est là que les 1eres fissures apparaissent dans la société tunisienne : d’un coté ceux qui, profitant des privilèges du régime préfèrent rester à l’abri des représailles d’un système policier implacable, de l’autre ceux qui militent en acceptant les risques, y compris physiques et enfin ceux qui choisissent la violence comme ce fut le cas en 2007 à Soliman (40Km de Tunis) où un commando djihadiste de plusieurs hommes armés résista durant plusieurs jours avant d’être abattus par l’armée tunisienne. Les tunisiens découvrent alors avec stupeur l’existence de groupes armés djihadistes dans leur pays. Sur le terrain social, le malaise enfle. Même si le puissant syndicat UGTT est infiltré par le pouvoir de Ben Ali, les fédérations comme celles des mineurs mènent leur combat pour la défense des ouvriers et cela se traduit par la grave crise de ce qu’on a appelé « les événements du bassin minier » qui débuta en Janvier 2008 et qui conduira à la chute du régime le 14 Janvier 2011. Tout cela, prouve bien que la 1ere révolution de ce qu’on appelle « Le printemps arabe » n’était pas une révolution de « face book » ou de « jasmin » mais véritablement un processus né d’un mouvement d’abord social puis politique. Aux lendemains de la chute de Ben Ali, la Tunisie passa par une 1ere phase de transition dont il est trop tôt pour faire le bilan. Quel rôle réel jouèrent les hommes tels M. Beji Caïd Essebsi ou M.Foued Mbazaa qui ont conduit cette phase de transition délicate qui a abouti aux élections du 23 Octobre 2011 ? Le choix de passer par l’élection d’une assemblée constituante (solution longue et complexe) plutôt qu’un referendum sur un texte inspiré par l’ancienne constitution retoqué aurait-il était préférable? Les historiens le diront un jour. Les partis nouvellement créés ou tout juste reconnus (plus de 130) allèrent aux élections en ordre dispersé pour connaitre leur vrai poids auprès de la population. Toujours est-il que c’est le parti Islamiste Ennahdha qui obtint le plus grand nombre de siège à l’assemblée constituante (plus de 42% des voix).
On réalise alors le travail discret, voire secret qu’ils avaient effectué patiemment sur le terrain durant les « années de plomb ». Les autres partis, inconnus durant l’ère Benalienne ne réussirent pas à percer. Pour gouverner, Ennahdha doit nouer des alliances. Certains partis refusent de s’allier à eux (PDP, Ettajdid, Afak) et Ce furent l’Ettakattol (ex FDTL) de M. Ben Jaafar et le CPR de M.Marzouki qui acceptèrent de faire partie de la coalition : la Troïka était née. Les dirigeants des 3 partis coalisés se connaissaient du temps de leur opposition à Ben Ali. Ils connaissaient leurs points de convergence : instauration de la démocratie, de la liberté d’expression, des droits politiques, du pluralisme ; et ils connaissaient également leurs divergences sur le caractère civil (laïc) de l’état et des choix de société. Tous semblaient d’accord pour dépasser ces divergences afin de rédiger une constitution respectueuse des droits et des libertés. Malheureusement, à l’usage, les problèmes ont commencé à surgir et les divergences à apparaitre. Ennahdha, parti très soudé durant la période de clandestinité découvrait, une fois au grand jour, l’existence de courants internes.
Si certains de ces courants étaient d’accord pour rédiger une constitution sans référence religieuse, d’autres ne l’entendaient pas ainsi. Un débat houleux, voire violent s’installe à l’assemblée et dans la société civile. Le ton monte de tous cotés et très rapidement on commence à accuser MM.Marzouki et Ben Jaafar d’avoir trahi leurs principes, renoncé à leurs idéaux et d’avoir cédé à Ennahdha. Accusation sans doute injuste à l’égard de 2 personnalités dont le parcours militant ferait pâlir une grande partie des tunisiens. Toujours est-il que le climat se détériore et le ton monte à l’intérieur et à l’extérieur de l’assemblée, dans les débats télévisés où on ne s’entend plus crier, dans les « diners en ville » où la fracture se fait béante …
Sur le terrain économique, le miracle ne se produit pas. Chômage des jeunes, hausses des prix, baisse du tourisme, ralentissem- ent des exportations vers la Libye (essentielles pour l’économie tunisienne) en raison de la situation en Libye, gestion de plus d’un million de réfugiés chassés par les combats en Libye… Et commence alors une spirale de grèves sauvages nées des années de frustration et de l’impatience des tunisiens à voir enfin une amélioration de leur quotidien …
La troïka empêtrée dans la rédaction de la constitution manque d’expérience politique, mais comment en serait-il autrement, vu le désert politique laissé par Ben Ali ?
L’administration tunisienne réputée efficace peine à répondre aux attentes du public et est inquiète du mauvais climat social et politique. Une partie de la population ne comprend pas que la justice tarde à demander des comptes aux anciens dignitaires du régime déchu, coupables de graves malversations financières, alors que ceux qui avaient volé dans des supermarchés lors des émeutes étaient jugés et condamnés. Dans cette atmosphère délétère on voit surgir le spectre des réseaux de l’ancien RCD, le parti dissous de Ben Ali. D’autres voient des milices présumées au service d’Ennahdha. La scène politique ne se porte guère mieux. Les responsables politiques s’invectivent et s’accusent mutuellement. Les partis tentent des alliances improbables. Des anciens dirigeants tels M. Caïd Essebsi qui à plus de 80 ans tente, un retour en politique, dans un pays où ce sont les jeunes qui ont fait la révolution et qui rêvent de prendre la relève.
Dans sa démarche M.C.Essebsi est soutenu par une bourgeoisie inquiète pour ses privilèges et par une partie des anciens Benalistes. Le décor est dressé pour l’escalade de la violence ; d’abord verbale, chaque parti déniant à l’autre le droit d’exister, puis rapidement physique. Un imam connu pour ses prêches modérés est abattu de 2 balles à bout portant, un journaliste (M.Krichene) est agressé, puis c’est au tour du leader d’un parti (M. Chebbi), puis du numéro 2 d’Ennadha (Maitre Mourou) agressé 2 fois, jusqu’à l’assassinat de M.Chokri Belaid le 6 Février 2013.
Alors où va la Tunisie ?
Est-ce la fin du rêve démocratique ?
La Tunisie serait-elle en train de se radicaliser sous l’effet d’une poussée islamiste ?
Risque-t-elle de sombrer dans une guerre civile ?
Et bien je prends le pari inverse !
En effet, ce petit pays sans ressources naturelles et qui a su développer un système de santé et d’éducation exemplaires, une administration qui sert de modèle aux autres pays de la région, un tourisme reconnu à l’échelle internationale, des élites de qualité ; ce pays ne peut pas sombrer ainsi corps et âmes.
Héritiers des phéniciens et des arabes, influencés par les cultures andalouse, ottomane, italienne et française, parions que les tunisiens sont capables de surprendre. Pour cela il faudra que les classes aisées comprennent que leur pays a changé et que les zones et les populations défavorisées, jadis occultées par Ben Ali, ont leur mot à dire sur l’avenir du pays. Il faudra que les modernistes respectent ceux qui sont attachés à leurs traditions. Il faudra que l’actuelle majorité respecte les partis minoritaires. Il faudra que les tunisiens soient libres d’exercer leur culte quel qu’il soit et libres de n’en exercer aucun, que les tunisiennes soient libres de porter le voile ou le Jean’s. Bref, qu’ils fassent preuve de tolérance et qu’ils acceptent leurs différences. La Tunisie était un modèle par son mode de vie ouvert et sa tradition de tolérance, elle doit le rester, en tenant compte de son évolution.
Dans la cartographie actuelle du paysage politique tunisien, où le courant islamiste se situe entre une fourchette basse de 25% et une fourchette haute à 40% , si un islam politique démocratique existe, ce sont les tunisiens qui en seront les inventeurs en encourageant les courants modernistes de Ennahdha dont M.Jebali semble prendre le leadership et en isolant les courants traditionnalistes de M.Ghannouchi. Les partis dits laïcs doivent accepter le dialogue, intégrer cette réalité et faire preuve de réalisme pour reconquérir leur électorat lors des prochaines échéances. Leur stratégie qui consiste à se positionner uniquement comme un barrage contre l’intégrisme et contre Ennahdha, sans programme réel et en improvisant des alliances contre-nature est vouée à l’échec. Ensuite il leur faudra clarifier leurs positions sur les choix économiques qu’ils préconisent pour leur pays car c’est là que sont les vrais défis.
La politique de développement, celle de l’emploi et de la santé, une politique sociale solidaire, un enseignement et une formation adaptés au monde moderne et au marché du travail, c’est cela qui redonnera espoir à la jeunesse et éloignera les démons de l’obscurantisme.
Et Je le pense : YES THEY CAN !